mercredi 9 mai 2012

La Bête au ventre




On ne part pas tous avec les mêmes chances dans la vie, c'est rien de le dire. À onze ans, Alex Hammond traîne déjà de lourdes casseroles derrière lui. Abandonné par sa mère, il est confié dès son plus jeune âge aux institutions par son père, aux tendances alcooliques et maigres ressources, qui croit faire le bon choix. Ballotté de foyers en écoles militaires dont il fugue dès qu'il le peut, Alex est contraint de se soumettre à l'autorité infondée d'adultes qui ne sont rien pour lui et grandit sans affection, sans perspectives autres que l'univers clos de structures où s'entassent les mômes esseulés. Derrière ces murs qui diffèrent bien peu de ceux des prisons, la rage d'Alex croît irrémédiablement, alors qu'on lui demande d'accepter son sort sans sourciller.

« L'un après l'autre, foyers et institutions militaires annonçaient à son père que le gamin devait partir. D'aucuns le considéraient épileptique ou psychotique, mais son électroencéphalogramme négatif les avait réfutés, et un psychiatre qui travaillait comme bénévole au Community Chest le trouva normal. À chaque fois qu'il se faisait renvoyer, il gagnait de pouvoir rester auprès de son père, dans le meublé que ce dernier occupait, quelques jours durant, voire une semaine, et il dormait sur un petit lit pliant. Il était heureux pendant ces interludes. Rébellion et chaos avaient leur finalité – il échappait ainsi aux tourments. »

Mais un jour, Alex est dépassé par les conséquences de ses révoltes. Lors d'une énième cavale, en quête de nourriture, il cambriole une boutique. Sous le coup de la peur, il tire sur le propriétaire, venu le surprendre.
Sidérée par celui qu'elle considère comme un criminel, la société répond à la violence de l'enfant par une brutalité redoublée, crânement persuadée d'être dans son bon droit. Sévices physiques, psychologiques, enfermement en maison de redressement ou asile psychiatrique, dénuement total, Alex, désormais dernier maillon de la chaîne, apprend à ses dépends la loi du talion et la fait sienne à son tour, submergé par sa fureur latente, « le voile rouge qui lui obscurcissait les yeux et le cerveau ». Le petit garçon dont « la férocité se vidait en larmes » devient, adolescent, un vieux briscard de la taule. 

Aucune issue ne semble possible : le tempérament impétueux d'Alex lui interdit d'accepter l'injustice de sa situation, la dureté du milieu de faire le gros dos. La façon dont est "géré" – car est-ce autre chose que de la gestion ? – ce gamin, qui ressemble à tant d'enfants bien réels, conduit à un véritable gâchis ; sensible, vif, hautement intelligent, ses possibilités sont broyées par un système où surgit très rarement l'humanité.
Le récit s'achève alors qu'Alex n'a qu'une quinzaine d'années, au cours d'une arrestation. Il a encore la vie devant lui, mais « La Bête au ventre », la violence pour principal bagage, la prison de San Quentin, une des plus dures des États-Unis, en ligne de mire. 
Écrit par un ancien taulard, ce roman noir assène un coup particulièrement violent.

La Bête au ventre, Edward Bunker, Rivages/Noir

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