samedi 17 mars 2012

La Bête qui sommeille



Un patelin du Maryland, par une froide matinée d'hiver. Quelques clients défilent chez le père Burroughs pour acheter de la mauvaise gnôle. Jim, jeune ouvrier noir, hésite un court instant puis sacrifie la paire de souliers qu'il comptait s'acheter et s'en va se saoûler dans un champ. Dans son délire alcoolisé, il croise la route de Kitty Smith, la prostituée du coin, et la viole et la tue. À ce déchaînement de violence, les Blancs répondront par une furie plus grande encore.

Multipliant les points de vue, Don Tracy nous fait vivre l'horreur inexorable et livre le récit implacable d'un lynchage, n'épargnant aucune facette de ce qu'il y a de plus sordide et brutal en l'être humain. Car la couche de "civilisation" apparaît bien mince et fragile sous les assauts de la violence aveugle et du désir de pouvoir, « la bête qui sommeille » en chacun. Le voilà, le personnage principal du roman, dont tous les mouvements sont passés au crible. La bête s'éveille, s'excite à l'odeur du sang ; bientôt, trouvant écho chez ses semblables, elle se joint à la meute stupide et hurlante, et se déchaîne. Du sadique cruel au progressiste bouffi de petite prétention, en passant par le sheriff conduit par le calcul politique et l'homme frustré par sa faible taille, nul ressort de ce qui conduit à la torture et au meurtre, que personne n'empêche, n'est laissé au hasard. Don Tracy déroule le fil des événements avec une terrible minutie, et, quel que soit le regard adopté, interroge l'irruption de la fureur. Servi par une écriture précise, puissante, son roman laisse complètement sonné.

La Bête qui sommeille (1938), Don Tracy, Gallimard, Folio

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