Il était une fois un rond amputé. Attristé par cette incomplétude, il décide de partir en quête de la part qui lui manque. En chemin, il roule et fredonne joyeusement :
Mais il est où, mon ptit bout
Aïe, dee, hoo, aïe dis où…
De par sa faille, sa progression est parfois malaisée mais le rond prend son temps, attentif à tout. Au cours de sa route, il a l'occasion de tenter de combler ce qui lui fait défaut : mais ce qu'il croit pouvoir être un petit bout de lui-même est ou bien trop grand, ou alors trop carré. Le rond apprend qu'un fragment peut n'appartenir qu'à lui-même ou encore qu'il ne faut pas serrer trop fort sa pièce rapportée.
Au gré de son voyage, le rond incomplet vit bien des aventures… jusqu'au jour où il rencontre enfin son petit bout manquant :
– Je peux être à quelqu'un et à moi aussi.
– Ah bon, mais pas à moi peut-être ?
– Peut-être que si…
La concordance est parfaite, le voici devenu parfaitement sphérique. Il roule désormais avec aisance et vélocité. Mais le voilà qui passe à côté de tout… Il ne chante même plus pour lui-même. Pourtant « ça collait impec' ! ». Alors, le rond décide de lâcher ce qui était venu l'achever.
Les pages n'accueillent que l'essentiel, quelques éléments suffisent à raconter, ligne et formes au trait noir qui, gracile, oscillant, offre de petites aspérités. Le presque rond se voit tailler une belle et grande bouche en lieu et place de ce qui lui manque. On l'a gratifié d'un œil en tête d'épingle. Pourtant, malgré l'extrême simplicité de la figure, joie, déception, ténacité affleurent avec une économie de moyens étonnante : l'expressivité sidère. On se prend à sourire, sourire qui s'élargit au fur et à mesure. Le dessin même attendrit.
Le petit bout manquant (1976), Shel Silverstein, éditions MeMo
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