mercredi 4 avril 2012

Filer droit




Il était une fois un vilain petit canard « qui ne s'alignait pas sur ses frères et sœurs ». Alors que ceux-ci croissent en verticalité, composés qu'ils sont de lignes qui partent vers le ciel, lui s'épanche à l'horizontale et se confond avec l'eau et l'air, jusqu'à devenir transparent.
Le célèbre conte d'Andersen se trouve avec Filer droit transposé dans un univers magnétique où s'affrontent une multitude de lignes droites. En leur sein et par leur opposition se détachent de graciles silhouettes. L'atmosphère, mélancolique, dépouillée révèle avec justesse la solitude de l'oiseau déviant, tout comme l'écriture, épurée à l'extrême.

Contrairement à l'histoire originelle, dans laquelle le volatile rejeté n'appartient pas finalement à la même espèce que la famille qui l'a élevé, la différence ici est signifiée de manière très subtile : l'auteure choisit de ne pas l'imposer au regard de façon prégnante, et la fait résider dans le sens de la construction, la symbolique de la ligne. Les images, striées, saturées, sont tout à la fois éthérées et oppressantes, leur composition créant une attraction hypnotique. À la beauté et l'audace esthétique, Noémi Schipfer allie la sensibilité et l'étoffe du propos, évitant l'écueil de la simple prouesse formelle. Elle s'appuie avec délicatesse sur l'art du contraste et profite de ce principe optique simple, qui invite doucement l'œil à s'accoutumer, pour évoquer la singularité, l'isolement qu'elle peut induire avant que n'advienne l'affirmation : notre petit palmipède, enfin – et violemment – libéré d'une famille qui ne le reconnaît pas pour un des siens, prend bientôt son envol et s'attache un nouveau cercle,
« aligné comme lui ».

Filer droit, Noémi Schipfer, éditions MeMo

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