jeudi 12 avril 2012

Ils ont tous raison


À l'instar de Tony Pagoda, chanteur de variété napolitain et principal protagoniste d'Ils ont tous raison, Paolo Sorrentino aurait-il carburé à la coke lors de l'écriture de ce premier roman ? Le livre est si véloce, nerveux qu'il semble s'accorder aux effets de la poudre, prodiguant une excitation grandissante à mesure que l'on suit les tribulations foutraques de Tony P. et s'empare de tout un pan de l'histoire de l'Italie, des années 50 à l'ère Berlusconi. Perclus d'humour acide, Ils ont tous raison égratigne à loisir les uns et les autres, et embrasse tout autant et avec chaleur les figures formidables qui parcourent  le roman, porté par une écriture tout à la fois fine et licencieuse, truffée d'images dont on se délecte.

Nous sommes en 1979. De retour d'une tournée aux USA, – au cours de laquelle son idole, Sinatra, lui a rappelé une vérité essentielle : « (…) même sur un trône, on n'est jamais qu'un sac à merde » –, Tony voit sa femme lui annoncer son intention de divorcer. Fou furieux, obsédé par l'image de sa table de chevet désespérément vide, il se met à errer dans Naples, s'abîme dans la mélancolie, convoque ses souvenirs et désespère du fabuleux : 

« Je le disais bien qu'à ce putain d'âge adulte le fabuleux file plus vite qu'un lézard. Si vous m'invitez dans le réel, mon réel va être lourd et envahissant. Puisque vous ne voulez pas m'inviter dans le jeu de l'imaginaire. Et le monde me submergera de nouveau avec toute son insignifiance sans limites.  L'horloge de Postal Market, la robe de chambre, les zucchine qui dorment dans l'assiette, la tranche de pain pour accompagner. Je voyageais avec les ombres sataniques et libidineuses des voyageurs de commerce du Nord, et vous me remettez les deux pieds dans la boue. J'imaginais des halètements sous les sapins enveloppés de bruine humide et vous me rappelez que ma femme m'attend furieuse. Vous m'arrachez au rêve et au souvenir qui n'a pas été, mais dont j'aurais tellement voulu qu'il soit, et vous me faites du mal. » 

À quarante-quatre ans, Pagoda a cramé la vie par les deux bouts, et pourtant, du grand amour, des projets sur la comète avec Dimitri le Magnifique, que reste-t-il ? La table de chevet est vide, il est temps de faire taire le vacarme et de passer à la deuxième de ses trois ou quatre vies, à la poursuite d'un plaisir ancien. Pagoda décide de faire ses valises, direction le Brésil, où il restera 18 années, tapi au fin fond de l'Amazonie en compagnie d'une armée de cafards et de l'inénarrable Alberto Ratto, avant de rentrer au pays aux frais d'un industriel richissime.

Ils ont tous raison, c'est l'épopée d'un homme, l'histoire des infléchissements de sa trajectoire, dans une société mutante.Tony Pagoda est un type souvent infect. Entier aussi, à sa façon tout du moins, capable d'être ému aux larmes par les gens qu'il aime, avide de mouvement, sensible à la beauté. Il s'incarne tout bonnement à la lecture et entraîne totalement dans le flux rapide son récit, dans le foisonnement de ses réflexions, dans son errance.

Ils ont tous raison, Paolo Sorrentino, Albin Michel.

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